Pour le dire simplement, l’axiodynamique réfère à l’idée de dynamique des valeurs. Comme cela a été développé initialement dans l’ouvrage « La genèse des valeurs » (Kleden, 2020), la notion de valeur est entendu au sens large dans une acception qui risque de prêter à confusion tant la définition qui est privilégiée dans nos travaux dépasse le cadre communément admis. Parmi les multiples définitions du terme valeur, nous en avons sélectionné deux :

« la résultante de l’ensemble des opérations par lesquelles une qualité est affectée à un objet » (Heinich, 2017, p. 167).

Ainsi qu’une autre plus conventionnelle

« caractère, qualité de ce qui est désiré, de ce qui est estimé parce que donné et jugé comme objectivement désirable ou estimable[1] ».

Nous pouvons relier les deux définitions en proposant l’idée selon laquelle la qualité dont fait part Nathalie Heinich comporte une dimension informationnelle à laquelle est associée un affect positif comme le suggère la définition ci-dessus (qualité […] objectivement désirable) ou négatif. En effet, l’élément informationnel incorporé en mémoire peut suscité une émotion négative (un mauvais souvenir, un blasphème, etc.)

Commençons par le terme « mémotion » qui a été forgé à partir du vocable « mème » défini par Richard Dawkins (« unité d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société ») et du terme « émotion ». Le sujet a été défini au niveau de l’ouvrage La genèse des valeurs (Kleden, 2020).

La valeur est un donné immanent, un « objet » informationnel en mémoire, une substance qui mobilise « ce qui persiste au milieu du changement (via des phénomènes) et le rend compréhensible[2] », un principe déterminé par son support biologique qui, entre autres dispositions mnésiques, comporte celle de l’altérabilité.

L’individu se fabrique des représentations en mémoire sur la base de calculs de sens alimentés par des percepts environnementaux. Ainsi, un réseau mnésique[3] se développe et se structure en systèmes de valeurs en fonction du principe constructiviste selon lequel les nouvelles connaissances se mettent en perspective avec celles acquises précédemment. Les nouvelles valeurs viennent s’agglomérer dans cette structure réticulaire en fonction de leur compatibilité rationnelle et affectuelle. Comme un puzzle, un ensemble prend tout son sens quand il est complet. Le système de valeurs d’un individu constitue son identité singulière déterminée à la fois par des valeurs primaires inscrites dans la sphère génique dont il a hérité à sa naissance et des valeurs secondaires qui s’incrémentent dans sa sphère noétique via le processus d’éducation-socialisation. Les neurones de mémorisation constituent le substrat physique de l’élément nommé mémotion formant une structure[4] logique, mnésique et discrète insérée dans un ensemble réticulaire qui lui procure son sens. Ces fonctionnalités purement informationnelles réfèrent au sème[5] ou au mème[6]. Rappelons un point essentiel : l’énergie permet le stockage d’un principe fondamental, l’information, dans les différentes structures organisationnelles du vivant, notamment l’ADN et la mémoire cérébrale. Ces deux structures mnésiques inertielles sont intégrées dans un métabolisme biologique qui les organise via un travail[7].

Le graphe ci-après donne un aperçu simplifié de la structure d’un système de valeurs dont chacune des composantes est dotée d’une valence affectuelle (positive ou négative). On notera que le déclenchement conscient ou non d’un processus de remémoration produit un ressenti corporel, agréable ou désagréable, selon la valence du « souvenir » concerné. Ce type de calcul de sens correspondant à une « représentation » est ainsi polarisé positivement ou négativement par l’affect ontiquement associé à la valeur ou à la mémotion appelée en conscience. On admettra que le calcul peut demeurer « affectuellement » neutre quand il s’agit d’une tâche purement cognitive manipulant des mémotions neutres.

Figure 10. Exemple simplifié d’un système de valeurs

À l’instar d’une molécule, la forme de la structure liée par des liaisons « interatomiques » constitue en soi les propriétés ontiques de l’ensemble. Les valeurs mémorisées en système ont tendance à s’imposer comme cohérentes et vraies à la conscience.

À l’instar d’un génome, les systèmes de valeurs sont uniques dans le sens où chaque individu dispose de sa propre version en mémoire issue d’un parcours spécifique d’éducation et de socialisation. À l’instar d’une empreinte génétique, l’ipséité des systèmes de valeurs incorporés par l’individu correspond à une identité^[8] unique. Les effets conatifs d’un système de valeurs individuel sont examinés de façon infra-consciente par tout observateur qui les interprètera implicitement comme faisant partie intégrante de l’identité de l’observé. La configuration complexe d’un système de valeurs pris dans toutes ses composantes (mémotions d’une certaine valence et intensité, liens entre valeurs, etc.) est unique et à priori non directement duplicable[9] en l’état actuel des connaissances scientifiques. On admettra cependant que ses composantes (mémotions et valeurs) existent en de multiples instances issues d’un modèle[10] idéologique abstrait, d’une religion, d’une doxa, etc., sont clonées chez les individus appartenant à une même sphère théo-ethnoculturelle (autrement dit, un même champ social). Insistons sur un point, si le contenu informationnel (épistémique) de ces valeurs est proche pour les membres d’un même collectif, en revanche, la structure du système de valeurs de chaque individu variera en fonction de la charge émotionnelle (valence, intensité) qu’il aura associée à chaque valeur (et mémotions). La charge émotionnelle détermine les préférences et donc la hiérarchie des valeurs.

De nouvelles mémotions s’intègrent « au stock » existant par cohérence à la fois épistémique (lien de causalité, réciprocité, dépendance, etc.) et affectuelle en fonction de leur valence positive ou négative. Dans le cas de l’émergence d’une idéologie, les mémotions ou valeurs sans congruence affecto-cognitive ne s’intègrent pas spontanément à la logique harmonieuse d’un système individuel.

Le système de valeurs incorporé par un individu constitue la ressource essentielle de son mécanisme de représentation du monde. De fait, la représentation est un calcul de sens qui fonctionne en temps réel en exploitant le méta-système de valeurs préalablement incorporé. Pour filer une métaphore énoncée dans La genèse des valeurs, la conscience est comme la cuve d’une machine à laver qui tourne en permanence remplie de blocs de Lego. Pendant la phase initiale d’éducation-socialisation de l’enfant, les pièces en question s’ajustent pour former une structure fondatrice cohérente. Ensuite, les pièces de Lego introduites dans le tambour en mouvement s’imbriquent rationnellement à la base existante. L’énergie[11] engagée dans l’assemblage des valeurs est l’affect. Cette énergie intervient (ou actue) dans le théâtre de la conscience. Elle ajuste des informations issues de percepts et déclenche des calculs de sens qui, à l’instar d’une méditation^[12], réarrangent peu ou prou la structure mnésique antérieure.

Ces différents éléments s’appuient sur les principes développés dans les trois ouvrages suivants :

• La genèse des valeurs (Kleden, 2020)
• Appétition et aversion (Kleden, 2021)
• La dynamique des valeurs (Kleden, 2022)

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[1] https://www.cnrtl.fr/definition/valeur

[2] Cf. la définition kantienne de la substance.

[3] Nous avons proposé dans La genèse des valeurs le principe selon lequel ce réseau mnésique dispose d’une structure proche de celle du réseau de Bower (1981).

[4] Il s’agit d’informations structurées au sein d’un réseau cérébral proche du réseau de Bower (Kleden, 2020 p. 58) respectant la règle organisationnelle suivante : Organisation = Information + Énergie.

[5] En linguistique, il s’agit d’une unité minimale différentielle de signification (dans l’analyse du sens d’un mot).

[6] Nous employons la définition du vocable « mème » proposée par Richard Dawkins : « unité d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société ».

[7] Sungchul Ji propose l’idée selon laquelle « l’organisation » est plus qu’une information, car l’organisation est une forme de travail et le travail nécessite une dissipation d’énergie libre. Nous admettrons qu’aussi bien pour la sphère génique que pour la sphère noétique, l’engrammage des informations correspond à une ontogenèse, qui, concernant la sphère noétique, correspond à la phase d’éducation-socialisation de l’enfant.

[8] Il s’agit là de l’identité-ipsé.

[9] L’éducation-socialisation correspond à un système lent et « dégradé » de copie d’informations.

[10] Considérons à titre d’exemple qu’un universaliste occidental aura ainsi intégré différents éléments d’un modèle théorique tiré des textes des philosophes des Lumières (Kant, Voltaire, Montesquieu…).

[11] En revanche, au niveau physique, l’énergie qui fait transiter les informations de neurone en neurone est l’ATP.

[12] La méditation correspond ici à un processus qui cherche une cohérence entre différents éléments épars présents en mémoire.