Le concept ami-ennemi de Carl Schmitt
Le concept ami-ennemi de Carl Schmitt
Quelle que soit la définition de la contradiction, de Hegel ou de Marx, quand elle est jugée irréductible par les partis en présence, elle mène généralement tout droit au principe d’ami-ennemi énoncé par Carl Schmitt. Commençons tout d’abord par citer une formule de John Locke qui exprime la problématique de l’ennemi en termes simples :
On peut […] traiter comme des bêtes féroces ces gens dangereux, qui ne manqueraient point de nous détruire et de nous perdre, si nous tombions en leur pouvoir (Locke, 1728).
Locke va plus loin en précisant que la simple volonté de privation de liberté équivaut à une déclaration de guerre. On reconnait là la prédominance de la valeur liberté dans le monde anglo-saxon
Afin donc que ma personne soit en sûreté, il faut nécessairement que je sois délivré d’une telle force [un pouvoir absolu quelconque] et d’une telle violence; et la raison m’ordonne de regarder comme l’ennemi de ma conservation, celui qui est dans la résolution de me ravir la liberté, laquelle en est, pour ainsi dire, le rempart. De sorte que celui qui entreprend de me rendre esclave se met par là avec moi dans l’état de guerre (Locke, 1728).
Mais venons-en à Carl Schmitt, le géniteur du principe « ami-ennemi » considéré comme un concept clé de la philosophie politique assimilable à l’idée de confrontation irréductible. Selon Schmitt, la distinction entre ami et ennemi est la distinction politique fondamentale. Ce principe est basé sur la reconnaissance de la nature conflictuelle de la politique, où les groupes et les États sont toujours en compétition les uns avec les autres pour le pouvoir et la domination. Pour Schmitt, l’opposition entre amis et ennemis est une confrontation existentielle, qui implique une division radicale entre des groupes susceptibles de se battre jusqu’à la mort. Cette distinction ne se réfère pas simplement à une opposition idéologique ou à un désaccord moral, mais aussi in fine à une situation de conflit réel et potentiel. Dans cette perspective, comme le formule Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». On peut bien sûr critiquer la distinction ami-ennemi de Schmitt qui pourrait laisser penser que cet argument justifie la violence politique et la guerre. Certains auteurs ont également souligné que la distinction ami-ennemi peut être utilisée pour justifier des formes d’exclusion et de discrimination basées sur des différences culturelles, ethniques ou religieuses. Malgré ces critiques, la notion ami-ennemi de Schmitt reste pertinente dans la compréhension de la nature conflictuelle de la politique, et souligne l’importance de reconnaître les conflits existentiels qui sous-tendent les relations politiques. Comme l’a exprimé Michel Debré à l’aune de la rédaction de la Constitution de la Vè République, le démocratie est conflictuelle par nature alors que les dictatures ont vocation à faire taire les opposants. La notion ami-ennemi de Schmitt peut être vue comme une invitation à réfléchir sur les limites et les possibilités de la politique, et à prendre en compte la nature irréductiblement conflictuelle des relations humaines.
Alan Kleden