Violence contre violence
Une situation de divergence irréconciliable, telle que l’évoque Carl Schmitt ou Julien Freund avec la notion d’ami-ennemi advient en dernière instance de la dialectique, au moment de l’antithèse précédant la synthèse. L’énergie négative qui s’est accumulée finit par s’échapper avec force. C’est là le moment de tous les dangers où l’explosion de violence advient, arrivés à l’acmé de leur vie, ils risquent tout dans ce moment où les acteurs qui ont épuisé ressources et endurance s’engagent au mépris de leur propre existence. Leur existence est devenue tellement insupportable que la mort apparait comme une option légitime.
En ce mois de mars 2023, l’actualité médiatique fait beaucoup référence aux manifestations violentes relatives à la demande populaire de retrait d’une loi nouvellement promulguée sur la réforme du système de retraite. L’ensemble des journalistes s’accordent à l’unisson pour dire qu’il y a une limite à ne pas franchir : celle de la violence, contre les biens et les forces de l’ordre. Qu’il s’agisse des black-blocs d’aujourd’hui ou de différentes groupes des années 1980 comme action-direct ou les « cellules communistes combattantes » tristement célèbres pour l’assassinat de Georges Besse, PDG de Renault, la violences d’extrême-gauche semble jouir d’une certaine tolérance qui pour certains dérive vers la tolérance coupable voire à la complicité. De mon point de vue, l’Etat tente de mettre en place une stratégie de moyen terme consistant à retourner l’opinion publique contre les fauteurs de trouble qui seraient, non seulement les black-blocs mais aussi certains manifestants dont quelques-uns, il est vrai, peuvent se laisser entrainer par l’excitation des actions de terrain. Dans ce contexte, les analystes traitant du sujet du maintien de l’ordre sont susceptibles de retenir l’hypothèse selon laquelle l’Etat joue le scénario consistant à laisser s’enliser les manifestations qui finissent assez rapidement par susciter le rejets du grand public.
La violence qui semble tant redoutée par les médias n’a pas toujours rebutée les intellectuels des Lumière, Kant énonçait ainsi les condition d’usage de la force :
« ce saut périlleux (salto mortale) est d’une telle nature que, à partir du moment où il n’est plus question de droit mais seulement de la force, il est permis aussi au peuple de faire usage de la sienne et partant de rendre incertaine toute constitution légale. S’il n’y a rien qui, par la raison, impose immédiatement le respect (comme c ‘est le cas du droit des hommes) , toutes les influences sur l’arbitre des hommes sont alors impuissantes à dompter leur liberté » ( E. Kant, Œuvres philosophiques, t. Ill, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1 986, p. 291 ).
Plus récemment, s’agissant de la fin de la période coloniale, Frantz Fanon énonçait un principe se rapprochant d’une certaine façon des déclarations des médias qui constate que ce n’est qu’après l’usage de la force que l’Etat a consenti à différentes mesures financières en faveurs des Gilets Jaunes. :
« Le paysan, le déclassé, l’affamé est l’exploité qui découvre le plus vite que la violence, seule, paie. » Frantz Fanon, Les damnés de la terre, 1961, Éditions Maspero.
Un autre point peut être aborder, il s’agit de celui de la violence participant d’une aura révolutionnaire et d’un imaginaire parfois associé à des héros révolutionnaires comme le Che Guevara plus proche de nous que ceux de la Commune de Paris ou de la révolution de 1789. Dans ce cas, dans une partie importante de l’opinion comptant une cohorte importante d’électeurs de la NUPES (avec surtout les partisans de LFI) fait montre d’une certaine appétence pour l’usage d’une violence nécessaire faisant face à l’Etat disposant du monopole de la violence légitime. De l’autre côté de l’échiquiekr politique, la droite s’applique à demander à l’Etat la sécurité des citoyens et des commerçants affectés par les manifestations. L’un des principaux points de désaccord entre les différentes sensibilités politiques est la légitimité de la violence. Pour certains, la violence est un moyen nécessaire pour atteindre des objectifs politiques. Certaines factions de l’extrême-gauche considèrent que la violence est une réponse légitime à l’oppression et à l’injustice sociale. De plus, les militants d’extrême gauche ont souvent une vision de la société qui se caractérise par une forte critique du système économique et politique existant. Ils considèrent que les institutions sont dominées par une élite qui ne représente pas les intérêts du peuple et qu’il est donc nécessaire de s’opposer à cette élite de manière radicale. L’idéologie gauchiste prône le renversement de l’ordre établi, dans ce contexte, la violence est un moyen de provoquer une rupture avec le système en place et de construire une nouvelle société plus juste et égalitaire. Evidemment, toute les tendances ne sont intégrée dans une vision politique claire et cohérente. Avec les blackblocs la violence semble simplement être un moyen de s’opposer aux forces de l’ordre ou de provoquer des dégâts matériels sans véritable objectif politique.
Concernant les actions supposées légitimes de l’Etat, la violence s’avère selon la doctrine des forces de l’ordre être un moyen nécessaire pour protéger la démocratie contre les forces qui la menacent, comme les mouvements autoritaires ou antidémocratiques. En revanche, d’autres estiment que la violence est incompatible avec la démocratie et qu’elle ne peut être justifiée que dans des circonstances exceptionnelles.
Quoiqu’il en soit, dès lors qu’à la violence des uns ne s’oppose plus que la violence des autres, les limites peuvent être facilement franchies et l’Etat s’exposer aux prémisses d’une guerre civile.